Dans les suites du 25 novembre, journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, nous souhaitons revenir sur la problématique des relations sexuelles entre un·e soignant.e et un·e patient·e. L’exemple d’un psychiatre du Mans, récemment radié de la profession, mais ayant abusé de plusieurs de ses patientes sur plusieurs années malgré des plaintes répétées au Conseil de l’Ordre illustre la nécessité de revenir d’urgence à ce sujet polémique.
Il y a quelques mois, a été publié une pétition demandant l’ajout au Code de Déontologie Médicale d’un article interdisant explicitement aux médecins toute relation sexuelle avec les patient·e·s dont ils et elles assurent le suivi.
Pour rappel, cette démarche, initiée par des patientes victimes de violences sexuelles commises par des médecins, a été portée médiatiquement par le Dr Dominique Dupagne et soutenue par différentes personnalités. Elle a également été la cible de nombreuses critiques, notamment de la part de médecins et de personnalités du monde juridique.
Nous avons pris le temps de la réflexion pour donner notre point de vue.
Un peu de contexte
Selon l’Observatoire National des violences faites aux femmes, une femme sur 7 déclare avoir vécu au moins une forme d’agression sexuelle au cours de sa vie (viols, tentative de viols, attouchements, baisers imposés et pelotage. L’exhibitionnisme et le harcèlement ne sont pas pris en compte). Sur l’année 2016, 93 000 femmes ont été victimes de viols ou tentatives de viols et dans 9 cas sur 10 les femmes connaissaient leurs agresseurs.
Les violences sexuelles commises sur les femmes sont donc rarement l’apanage de l’inconnu croisé par un mauvais hasard dans une ruelle sombre comme le veut l’imaginaire populaire. En fait, il s’agit le plus souvent de quelqu’un de connu, le conjoint ou ex-conjoint dans 45% des cas, mais aussi quelqu’un de la famille, un ami, et cela concerne aussi les professionnels tels que les médecins.
Les violences sexuelles de la part de médecins envers les patient·e·s constituent une problématique bien réelle et peu dénoncée.
L’asymétrie de la relation médecin-patient·e, ancrée dans un modèle patriarcal, est un facteur favorisant de ces violences et rend leur dénonciation d’autant plus difficile.
Le manque de réactivité, de sévérité, voire la complaisance du Conseil de l’Ordre sur ces questions découragent souvent les victimes dans leur démarche.
Le Code de Déontologie Médicale est composé de l’ ensemble des devoirs moraux et sociaux que les membres de la profession doivent observer afin qu’il y ait cohésion des comportements dans l’exercice de l’activité. Il sert donc de référence juridique pour l’Ordre des médecins mais aussi et surtout de guide aux médecins dans leur pratique quotidienne au service des patients. Or, ce code ne comporte pas d’article explicite sur la question.
« Et le respect de la vie privée alors ?! »
Certain·e·s avancent l’argument du respect de la vie privée, lors de relations présumées consenties, pour s’opposer à la proposition d’ajout d’un article interdisant aux médecins toute relation sexuelle avec les patient·e·s.
Or, quelle est la valeur du consentement dans le cadre d’une relation inégale (médecin-patient.e) ?
Comment considérer qu’une relation intime peut se poursuivre en parallèle d’une relation de soins, alors que le médecin a, de fait, fréquemment un position d’autorité ?
Et surtout, quelle est la place de la vie privée du médecin dans l’exercice de sa fonction ?
« Et si on a un coup de foudre ?! »
Dans le cas où une attirance entre un médecin et un·e patient·e se développerait, le suivi médical devrait être délégué à un·e autre praticien·ne. C’est ce que propose la pétition et ce cas de figure éventuel n’est donc pas une raison suffisante pour s’opposer à cette proposition d’article.
« Je ne pourrais plus soigner mon conjoint/ma conjointe ! »
Les relations intimes antérieures à la relation de soin sortent du cadre de la proposition, puisque la pétition traite de relations abusives ayant débuté au cours de la relation de soins. Nous soulignons au passage que ce n’est de toute façon pas une pratique nécessairement souhaitable et qu’on est de façon générale pas un bon soignant pour ses proches.
En tant qu’association féministe engagée contre les violences sexuelles, nous soutenons donc cette démarche sur le fond.
En revanche, nous émettons quelques réserves sur certaines références évoquées dans la pétition.
D’abord, les allusions à Freud et à l’inceste confortent la vision paternaliste de la relation médecin-patient.e et infantilisent les patient·e·s .
Ensuite, nous ne nous prononcerons pas sur la proportion d’agresseurs parmi les médecins, qualifiée « d’infime minorité » dans la pétition. A ce jour, il n’existe pas de chiffres sur lesquels s’appuyer pour quantifier ce phénomène.
Enfin, la qualification de « prédateurs sexuels » nous parait inappropriée car elle déshumanise et déresponsabilise les agresseurs en les peignant sous la forme de monstres facilement identifiables. En réalité, ces agresseurs, s’ils sont effectivement « des prédateurs sexuels » dans leurs actes sont dans la majorité des cas des hommes, socialement intégrés et d’apparence non spécifique.
Malgré les réserves que nous avons exprimées ci-dessus, nous restons persuadé·e·s que l’inscription dans le code de déontologie d’un article traitant explicitement de la protection des patient·e·s victimes d’agressions sexuelles de la part des médecins est essentiel pour l’avancée de la lutte contre les violences sexuelles.
Enfin nous pensons que cette réflexion devrait être étendue aux autres catégories de soignant·e·s : kinésithérapeutes, psychologues, infirmier·e·s, aides soignant·e·s, ostéopathes, dentistes …