Le Conseil de l’Ordre des Médecins, complice des agresseurs – Soutien à la Docteure Eugénie Izard
Dans la lutte contre les violences, il semble que le Conseil de l’Ordre ait choisi son camp et c’est sans surprise celui des médecins agresseurs. Après le rapport accablant de la Cour des Comptes (1), tant sur la gestion financière, que sur leur inefficacité dans la lutte contre les violences infligées par les médecins, qu’elles soient psychologiques, physiques ou sexuelles, on aurait pu penser que l’Ordre des Médecins (ODM) se serait remis en question, mais cela ne semble pas être le cas.
Au cours des dernières années, plusieurs affaires médiatisées de viols et agressions sexuelles sur des patient·es ayant conduit à la condamnation pénale de médecins, n’ont pas été traitées, sur le plan ordinal, avec la rigueur nécessaire. Ainsi en est-il des procès de deux gynécologues de la région parisienne, d’un généraliste de la région Nord ou encore de plusieurs psychiatres de la Sarthe (1). L’affaire de l’ex-chirurgien digestif Joël Le Scouarnec, accusé d’avoir agressé sexuellement de centaines de mineur·es depuis la fin des années 1980 est une illustration emblématique de leur inaction. Dans cette affaire, l’ODM a été informé en 2005 par le Tribunal de Vannes de la condamnation du chirurgien. Un an plus tard, il est convoqué par l’ODM pour un entretien qui ne donnera lieu à aucune suite alors qu’en cas de condamnation pénale, une procédure disciplinaire doit être immédiatement engagée. Le chirurgien a donc continué à exercer et à agresser des enfants en toute impunité pendant de nombreuses années. Lorsque l’affaire éclate en 2017, l’ODM publiquement nie avoir été informé du passé judiciaire de Joël Le Scouarnec…
Récemment, c’est dans le traitement d’une affaire de violences sur mineur·es que l’Ordre s’illustre encore.
Rappel des faits :
En 2014, la Dre Eugénie Izard, pédopsychiatre et fondatrice du REPPEA (Réseau de Professionnels pour la Protection de l’Enfance et l’Adolescence), fait un signalement au procureur pour des faits de maltraitances sur une enfant qu’elle a reçue et qu’elle suit en psychothérapie. Quelques mois plus tard, elle alerte de nouveau le juge des enfants saisi lors du premier signalement et ayant ordonné une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert (AEMO). Le père de l’enfant, auteur désigné des violences, est médecin. Celui-ci porte plainte contre la Dre Eugénie Izard auprès du Conseil de l’Ordre des médecins, et dans un second temps, la retire en conciliation. L’Ordre des Médecins choisit de s’auto-saisir de l’affaire et de continuer les poursuites contre la Dre Izard. Après avoir reçu un avertissement au Conseil Régional pour « immixtion dans les affaires de famille », la procédure aboutit 5 ans plus tard à une condamnation d’Eugénie Izard à trois mois d’interdiction d’exercice de la médecine pour « non-respect du secret professionnel » pour avoir fait « un signalement au juge des enfants » et non pas au Procureur de la République ou à la Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes (2). Motif dont elle n’a jamais été accusée en cours de procédure, mais qui apparait dans la décision finale sans lui avoir laissé l’occasion de se défendre sur ce point. On lui reproche de nouveau l’immixtion dans les affaires de famille.
Sans connaître tous les détails de l’affaire, on peut s’étonner de la durée de l’instruction (5 ans), de la lourdeur de la sanction (3 mois d’interdiction d’exercer) et surtout du caractère dissuasif du motif choisi. En effet, sanctionner pour avoir signalé au juge des enfants et non au procureur alors même que le juge des enfants était déjà impliqué dans l’affaire pose question. On peut même se demander si la profession du père et agresseur présumé a plus influencé le Conseil de l’Ordre que le devoir de protection de l’Enfance qui s’impose à tout médecin. Le Conseil de l’Ordre a également fait le choix de continuer à poursuivre la pédopsychiatre, alors même que le père avait retiré sa plainte, pour « immixtion dans les affaires familiales » motif qui, dans une affaire de violences intra-familiales, laisse songeur….
Aujourd’hui, la protection de l’enfance est à l’abandon (3) : plutôt que des moyens, des numéros verts sont mis en place et plutôt que de former des professionnel·les de santé à la prise en charge de ces violences, on préfère sanctionner celles et ceux qui essaient de protéger les enfants.
Il est essentiel que les soignant·e·s puissent signaler les violences et sévices qu’ils·elles sont amené·es à constater. Seule une très faible proportion des signalements pour maltraitance infantile provient des médecins, comment comprendre alors cette décision de l’ODM dans cette affaire ? Il est difficile d’y voir autre chose qu’une tentative de silenciation et d’intimidation pour couvrir un système agresseur. La confraternité les pousse encore et toujours à protéger et couvrir un médecin accusé de violences et à prendre des mesures fortes afin de dissuader des lanceur·ses d’alerte. Cette affaire illustre une fois de plus l’inefficacité de la justice ordinale exercée par des pairs. Il est insoutenable de voir qu’un chirurgien déjà condamné pour détention d’images pédo-pornographiques ait pu poursuivre son activité auprès d’enfants, quand une médecin travaillant dans la protection de l’enfance écope d’une lourde sanction, avec interdiction d’exercer, pour un motif semblant fallacieux et sa gravité très relative.
Il semble encore et toujours important de rappeler que la « neutralité » dans le cadre de violences envers des personnes vulnérables équivaut à une complicité avec le (ou les) agresseur(s). C’est une trahison du devoir de soin, d’aide et de protection qui s’impose à tout·e soignant·e.
Pour conclure, nous adressons, bien sûr tout notre soutien à la Dre Eugénie Izard et espérons que cette décision ne découragera pas d’autres soignant·es de signaler les violences que leurs patient·es peuvent subir.
Sources :
(1) https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lordre-des-medecins