Perspectives féministes sur la crise du COVID-19. Quels moyens pour qui?

Au sein de l’association, comme l’ensemble de la population, nous sommes tout·es affecté·es par la pandémie de COVID-19, que ce soit directement par la maladie (dans notre vie privée et professionnelle) ou indirectement par les mesures incohérentes et lacunaires prises par le gouvernement pour limiter son impact. 
 

Nous souhaitons avant toute chose adresser nos pensées aux victimes de la maladie COVID-19 et à leurs proches. Nos pensées se tournent aussi vers les victimes de toutes les violences qui ont été masquées, voire aggravées, par la focalisation générale sur la pandémie, rendant leur situation encore plus dangereuse et difficile qu’elle ne l’est habituellement. Les crises (sanitaires ou non) accentuent les dysfonctionnements et les mécanismes de domination pré-existants, ce qui aboutit à davantage de discriminations et de violences envers différents groupes de population.

 

Durant cette période de crise sanitaire, de nombreuses situations et décisions politiques nous ont révolté·es.

 
Des violences racistes et sexistes ont été perpétrées par les forces de l’ordre sous prétexte de santé publique. Dès les premières heures du confinement, les forces de l’ordre ont commencé à effectuer des contrôles des attestations dérogatoires de déplacement dans les quartiers populaires et à interpeller des femmes et des jeunes hommes racisé·es (1). Dans le même temps, sur les quais parisiens, dans les quartiers bourgeois, la population déambulait sans être harcelée, bien que pouvant elle aussi propager le virus. Sans surprise, des femmes ont été victimes de verbalisations, notamment lors de l’achat de protections menstruelles ou de tests de grossesse qui semblaient ne pas être considérés de « première nécessité » par les forces de l’ordre (2).
Les difficultés matérielles à produire la fameuse attestation de sortie pour les personnes précaires, illettrées ou maîtrisant mal le français ont été initialement ignorées. La dématérialisation de l’attestation a d’abord été refusée, malgré l’accès impossible à l’impression ou les difficultés de retranscription de certaines populations (11). Pendant ce temps, des personnes ont même été jugées en comparution immédiate pour avoir occupé des logements vides et des familles ont été verbalisées pour être allées collecter des colis alimentaires (12). Les mêmes abus sont à nouveau constatés dans le cadre des obligations du port de masque : politique répressive plutôt que pédagogique, verbalisations abusives et violences envers les plus précaires. 
 
« Les « solutions sanitaires » finalement proposées à la va-vite sont scandaleuses : hébergement des personnes atteintes par le COVID et renvoi à la rue de celles provisoirement épargnées. Ces personnes ont ainsi été abandonnées, harcelées par les forces de l’ordre leur réclamant pendant le confinement des attestations vides de sens et privées de leurs moyens habituels de susbistance (…) »
         
Nous sommes également révolté·es contre l’extrême indignité et le cynisme avec lesquels les personnes détenues, exilées et sans domicile fixe sont traitées ou ignorées dans cette crise sanitaire. La machine à expulser continue à fonctionner, alors que ces expulsions – en plus de leur caractère abject – aggravent fortement le risque de propagation du virus dans les pays d’origine. L’hypocrisie a même été jusqu’à maintenir des personnes exilées en centre de rétention administrative (CRA) alors même que les frontières étaient fermées. Les CRA, ces camps où il est de plus en plus difficile d’aller pour les associations, continuent à enfermer et maltraiter les personnes, privées de leurs droits humains les plus élémentaires, et ce malgré les recommandations du Défenseur des droits (8) (9).  
À ce jour, il n’y a encore bien souvent aucune solution d’hébergement pour les personnes sans domicile en France. Malgré les effets d’annonce du ministre de la Ville (10), ce ne sont pas les 170 chambres d’hôtel réquisitionnées à Paris en mars dernier, où plusieurs milliers de personnes sont sans abri, qui pouvaient permettre le respect du confinement dans des conditions convenables. « Confiné·es dans la rue », considéré·es comme des sous-citoyen·nes, rien n’avait été initialement prévu pour les personnes sans domicile fixe. Les « solutions sanitaires » finalement proposées à la va-vite sont scandaleuses : hébergement des personnes atteintes par le COVID et renvoi à la rue de celles provisoirement épargnées. Ces personnes ont ainsi été abandonnées, harcelées par les forces de l’ordre leur réclamant pendant le confinement des attestations vides de sens et privées de leurs moyens habituels de susbistance (mendicité, générosité de certains restaurateurs…). 
 
Nous avons observé un confinement à double vitesse : pendant que la majorité des cadres et des groupes sociaux privilégiés ont pu télétravailler en toute sécurité depuis leur domicile, voire quitter les villes pour leurs résidences secondaires à la campagne, les ouvrièr·es et employé·es des commerces ont été contraint·es de travailler au contact de la population sans dispositif de protection adapté. Nous notons également la poursuite, au mépris des vies humaines, de certains travaux non essentiels dans un but purement économique et capitaliste. Citons, par exemple, la réouverture des sites de production d’Airbus dès la seconde semaine de confinement. 

 « En France, au début du confinement, le numéro gratuit d’aide aux témoins et aux victimes de violences, le 3919, a été injoignable pendant plusieurs jours. En avril 2020, le 3919 a enregistré deux fois plus d’appels qu’en avril 2019. (…)

Certain·es jeunes ont été laissé·es presque seul·es, livré·es à elles·eux-mêmes, parfois confiné·es dans des chambres d’hôtel ou des studios, sans les visites habituelles des équipes éducatives. »
Cette crise sanitaire a également aggravé la situation impossible des femmes victimes de violences conjugales. En France, en 2019, au moins 151 femmes sont mortes assassinées par leur (ex-)compagnon (3)  sans qu’aucune des mesures réclamées par les associations féministes n’ait été examinée. Les violences domestiques et conjugales ont augmenté effroyablement en situation de confinement dans plusieurs pays (4). Les victimes se sont retrouvées séquestrées avec leur agresseur et disposaient de peu de possibilités pour se mettre à l’abri, notamment à cause des restrictions de déplacement. En France, au début du confinement, le numéro gratuit d’aide aux témoins et aux victimes de violences, le 3919, a été injoignable pendant plusieurs jours. En avril 2020, le 3919 a enregistré deux fois plus d’appels qu’en avril 2019 (5). Le Ministère de l’Intérieur et l’Ordre National des Pharmaciens ont décidé de la mise en place d’un dispositif de signalement pour les victimes dans les pharmacies sans tenir compte de l’absence de formation des équipes sur le sujet, ni de l’impossibilité d’assurer la confidentialité au comptoir d’une officine. Le seul support d’information à destination des professionnel·les était un flyer (6)(7)… Ce type de mesures fait office d’effets d’annonce, stratagème coutumier de ce gouvernement. Prises sans concertation avec les associations qui pallient depuis des dizaines d’années à l’inaction criminelle de l’Etat, ces mesures sont largement insuffisantes et ne permettent pas une aide et une mise à l’abri effective des victimes. 
       
Il en est de même pour les enfants victimes de violences intra-familiales. Le huis-clos augmentant les violences subies, les appels au 119 ont explosé pendant la période de confinement (18). En parallèle, les foyers d’enfants et de jeunes déjà confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance, en sous-effectif et en manque majeur de moyens, se sont retrouvés dans l’impossibilité d’accomplir correctement leur mission dans des conditions décentes. 
Certain·es jeunes ont été laissé·es presque seul·es, livré·es à elles·eux-mêmes, parfois confiné·es dans des chambres d’hôtel ou des studios, sans les visites habituelles des équipes éducatives. 
D’autres enfants ont pu voir des droits de visite et d’hébergement au week-end chez les parents se transformer en retour à domicile pendant tout la durée du confinement ou au contraire ont subi un arrêt brutal des visites parentales médiatisées, pourtant essentielles pour les tout-petits. (19) (20) 
Sans oublier les mineur·es migrant·es, en attente d’évaluation et de prise en charge, déjà abandonné·es par les pouvoirs publics en temps habituel, dont la situation s’est gravement déteriorée pendant cette période (21).
« Partout, les professionnel·les de santé n’ont pas eu d’autre choix que de s’équiper de matériel de protection hétéroclite et probablement insuffisant : calottes et tabliers en plastique de cantinièr·es (…), visières de protection 3D imprimées bénévolement par des entreprises, masques médicaux périmés depuis plusieurs années ou artisanaux en tissu, combinaisons de peintres en bâtiment, sacs poubelles XXL en guise de surblouses, … »
Nous dénonçons fermement l’hypocrisie du gouvernement au sujet des services hospitaliers. Après des années de politique de démantèlement de la fonction publique hospitalière, les différent·es responsables politiques ont tenu un discours d’héroïsation des soignant·es hospitalièr·es. Ce discours permet de passer sous silence le manque de moyens matériels et humains tout en éludant complètement la responsabilité de nos dirigeant·es dans la gravité de la crise sanitaire. 
En ville, les professionnel·les (infirmier·es, auxilaires de vie, médecins généralistes, kinésithérapeutes, sage-femmes…) qui ont assuré leur mission de soins parfois au plus près des personnes contaminées ou à risque l’ont bien souvent fait sans matériel adéquat et sans aucune reconnaissance des pouvoirs publics. 
Partout, les professionnel·les de santé n’ont pas eu d’autre choix que de s’équiper de matériel de protection hétéroclite et probablement insuffisant : calottes et tabliers en plastique de cantinièr·es (fournis par les mairies ou des commerçants volontaires), visières de protection 3D imprimées bénévolement par des entreprises, masques médicaux périmés depuis plusieurs années ou artisanaux en tissu, combinaisons de peintres en bâtiment, sacs poubelles XXL en guise de surblouses, …
Les EHPAD, qui abritent les usagers les plus vulnérables au COVID, se sont également retrouvés extrêmement démunis. En pleine crise sanitaire, certains grands groupes privés ont eu l’indécence d’envisager de verser des millions à leurs actionnaires pour finalement y renoncer devant l’indignation générale (13)
Le gouvernement a poursuivi, au mépris des vies humaines, des déplacements et des visites officielles en plein pic épidémique devenant de potentiels vecteurs du virus auprès de populations vulnérables, d’autant plus que devant les caméras on ne les voyait pas respecter les fameux gestes barrières. Actuellement, nos dirigeant·es s’affichent régulièrement sans masque en milieux clos s’affranchissant ainsi des lois qu’ils nous imposent et risquant de propager l’épidémie. Rappelons aussi qu’à la période où les tests se faisaient au compte goutte, y compris pour les soignant·es, les personnalités politiques étaient, elles, testées pour des symptômes bénins. Ce « deux poids deux mesures » illustre un mépris de classe assumé.
 
Sans surprise, les conséquences genrées de la pandémie ont été invibilisées et ignorées. Les professsions sursollicitées pendant cette crise sanitaire sont à grande majorité féminines : 87 % des infirmièr·es, 90 % des aides-soignant·es, 90 % des caissièr·es,  70 % des personnels d’entretien sont des femmes (14). Elles occupent majoritairement des postes à haut risque de transmission du virus et ne disposent parfois toujours pas de moyens de protection adéquats. Les femmes ont également été sursollicitées comme aidantes familiales. L’intenable cumul du télétravail, des tâches domestiques, du support moral de l’entourage, de la garde des enfants et de la continuité pédagogique a reposé, là encore, très majoritairement sur elles. Pourtant, bien qu’en première ligne les femmes ont continué à être exclues des prises de décisons…
« Malgré la mobilisation de nombreux·ses professionnel·les de santé qui ont alerté sur la situation, le gouvernement a refusé d’allonger provisoirement les délais légaux d’accès à l’IVG à deux reprises en mars et en mai dernier »
Enfin, nous dénonçons les mesures en demi-teinte prises pour garantir l’accès à l’IVG. Les conséquences de la pandémie dans ce domaine sont multiples : restriction des déplacements liée au confinement, confidentialité parfois impossible à assurer vis à vis de l’entourage, tension d’approvisionnement sur les produits anesthésiques,  majoration des situations de violences, manque d’information sur l’accès à l’IVG pendant la crise… Ces différents facteurs ont entraîné une recrudescence des demandes d’IVG hors délai en France. Ce phénomène était d’autant plus préoccupant que les fermetures des frontières européennes ont empêché ces personnes d’aller avorter à l’étranger et les ont laissées sans aucune solution (15;16).
Malgré la mobilisation de nombreux·ses professionnel·les de santé qui ont alerté sur la situation, le gouvernement a refusé d’allonger provisoirement les délais légaux d’accès à l’IVG à deux reprises en mars et en mai dernier (17). Les conditions d’accès à l’interuption médicale de grossesse pour raison psycho-sociale n’ont pas non plus été adaptées et des patientes, parfois mineures, se sont vues opposer des refus. 
L’allongement des IVG à domicile jusqu’à 9 semaines d’aménorrhée a permis de limiter le recours à l’hopital, pourtant cette mesure validée par l’OMS et ne présentant pas de danger particulier n’a pas été maintenue malgré la mobilisation des associations féministes et des professionnel·les expert·es dans le domaine. 
 
Le gouvernement essaye de tirer profit de notre stupeur, de notre chagrin et de notre anxiété pour renforcer sa politique libérale, qui a clairement contribué à l’ampleur de cette crise sanitaire. 
Des mois de mobilisations contre la fermeture massive de lits et de services hospitaliers ont vu leurs revendications échouer alors que plus de 300 milliards d’euros sont débloqués pour maintenir les entreprises. 
 
L’hôpital public et la sécurité sociale n’ont pas besoin d’être « sauvés » mais seulement d’être alimentés à hauteur de cotisations décentes. Leur destruction est le fruit de choix politiques et non le résultat d’une « conjoncture économique ». Nous payons les conséquences de décennies de démantèlement du service public, de marchandisation des soins et de déshumanisation de certaines catégories de la population. 
Face à cette crise, nous réaffirmons la nécessité de lutter pour :
  • un plan réel de soins médicaux et psycho-sociaux, pendant et après la crise actuelle
  •  un réinvestissement public pour l’hôpital et la santé avec abandon de la tarification à l’acte
  • la considération des réalités des femmes et des minorités discriminées dans toutes les politiques sanitaires et sociales ;
  • la formation des soignant·es et la lutte effective contre les violences et discriminations médicales ;
  • l’accueil digne des personnes exilées et la régularisation de tous·tes ;
  • un véritable plan d’action avec des moyens financiers à la hauteur pour lutter contre les violences conjugales, intra-familiales et faites aux enfants en axant sur la mise à l’abri et la protection des victimes ;
  • des hébergements d’urgence et une politique de logement effective ;
  • la nationalisation de l’industrie pharmaceutique et de la recherche médicale ;
  • la gratuité totale des soins avec la suppression des régimes complémentaires ;
  • la facilitation de l’accès à la contraception (vente libre, gratuité) pour permettre une plus grande autonomie des femmes en cas de crise de cette ampleur ;
  • l’allongement définitif du délai d’accès à l’IVG, médicamenteuse et chirurgicale ;
  • une revalorisation des professions dites du « care » et du travail social.

En cette rentrée particulièrement difficile, restons vigilant·es, solidaires et révolté·es. 

 
   
Sources / réferences :
 
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