Lutte contre les médecins agresseurs sexuels : l’impossible enquête (2/2)
Publié le Publié dans Actualités, Paroles de meufs
Dans la première partie de cet article, nous avons raconté notre enquête pour tenter de répondre à la question : en tant que médecin, peut-on dénoncer un confrère connu comme agresseur sexuel ?
Nous avons constaté que la marge de manœuvre pour dénoncer ces violences en tant que professionnel·les était réduite, voire inexistante. Notre rôle sera donc principalement d’informer les patient·es sur les démarches qu’elles peuvent entreprendre.
Quelles sont les voies de recours pour les patientes et que faire, en tant que soignant·es, pour les accompagner ?
- Les voies de recours pour les patientes
1 – Saisir le Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins (CDOM)
En pratique, il n’y a qu’exceptionnellement une sanction suite aux plaintes de patient·es, y compris pour des comportements très graves commis par des médecins (rapport de la Cour des comptes de 2019, page 107). Suite à notre enquête, nous n’encourageons pas particulièrement à porter plainte auprès de l’Ordre des Médecins (ODM), mais il nous semble nécessaire de décrire tous les leviers d’action existants afin que les patient·es fassent leur choix de manière éclairée.
Si la personne souhaite quand même entamer une procédure après de l’ODM, elle devra commencer par adresser un courrier au CDOM du département d’exercice du médecin en cause. Deux options s’offrent à elle :
– Réaliser une doléance sous forme d’un courrier décrivant les faits. Cette doléance a pour but d’informer l’Ordre des agissements du médecin en question sans pour autant lancer de procédure disciplinaire. Cela permet de laisser une trace et pourrait en théorie se cumuler avec d’autres témoignages (ou plus vraisemblablement finir dans les oubliettes des archives de l’Ordre). Suite à la doléance, le CDOM est censé demander « des explications » au médecin, puis faire un retour de la réponse du médecin. La patiente pourra alors faire part au CDOM de la suite qu’elle entend donner : en rester là ou basculer vers une plainte. Il faut savoir que, si les faits sont considérés comme « graves », le CDOM peut s’auto-saisir et décider de poursuivre le médecin sans demande de la victime.
– Déposer une plainte. La plainte a pour but de demander une sanction ou une condamnation. La demande se fait également par un courrier qui mentionne explicitement le dépôt de plainte.
Pour aider à la rédaction de ce courrier initial, vous pouvez fournir à votre patient·e cette lettre type ainsi que l’adresse du CDOM correspondant.
Dans le cas d’une plainte, une réunion de conciliation est obligatoirement organisée par le CDOM. Cette réunion a pour but de faire se rencontrer le·la plaignant·e et le médecin pour échanger et, si possible, trouver un terrain d’entente. Cette étape de la procédure, systématique quel que soit le motif, n’est pourtant pas adaptée à des situations de viols ou d’agressions sexuelles. Confronter la victime à son agresseur peut être très violent et réactiver des traumatismes. D’autant plus que la personne sera seule face à un groupe de médecins (l’agresseur et les conseillers ordinaux) qui se soutiennent dans un esprit de confraternité (cf page 107 du rapport de la Cour des comptes). Cette justice exercée entre pairs n’est pas équitable.
La victime a le droit de refuser de s’y rendre. D’ailleurs, il est fréquent que les médecins accusés n’y assistent pas eux-mêmes. Si la patiente décide de s’y rendre quand même pour mieux faire entendre sa voix, il est essentiel de lui conseiller de ne pas y aller seule. Elle a le droit d’être accompagnée d’un·e avocat·e ou d’une personne de son choix (entourage ou membre d’une association).
À l’issue de cette réunion de conciliation, sauf si la personne décide d’en rester là, la plainte est obligatoirement transmise à la chambre disciplinaire de première instance (CDPI) qui est régie par l’échelon régional de l’Ordre. La CDPI va ensuite examiner la recevabilité de la plainte puis, le cas échéant, l’instruire.
Attention : en cas de rejet de la plainte, la CDPI peut condamner le·la plaignant·e à une amende pour recours abusif, ainsi qu’à verser des dommages et intérêts au médecin.
Vous retrouverez un organigramme du CNOM qui résume la procédure ici.
Pour en savoir plus sur les défaillances de la justice ordinale, vous pouvez aller lire le rapport de la Cour des comptes et nos tribunes (ici et là).
2 – Procédure pénale
Les viols et agressions sexuelles sont des infractions condamnées au pénal. La personne a la possibilité de déposer plainte. La justice pénale peut condamner les auteurs de violences à des peines d’emprisonnement et/ou des amendes. Certaines personnes ressentent le besoin d’être reconnu·es par la justice, pour d’autres la complexité et la longueur de la procédure pénale peuvent être dissuasives. Il faut garder à l’esprit qu’au bout du compte un faible nombre d’auteurs de viols sont condamnés et qu’une grande partie de viols sont requalifiés en agressions sexuelles (correctionnalisation du viol).
Il convient donc de respecter le cheminement et le choix de la personne tout en évitant l’injonction au dépôt de plainte.
Il y a deux façons de porter plainte : soit se rendre au commissariat de police et déposer plainte sur place sachant que l’accueil est souvent défaillant, la parole des victimes est très fréquemment remise en doute et les faits minimisés ; soit écrire par lettre recommandée directement au procureur de la République. Cette dernière solution peut être préférable, puisqu’elle permet de décrire librement le détail des actes commis.
3- Procédure civile
La procédure civile a pour but d’obtenir une indemnisation pour couvrir les dommages subis.
Il faut démontrer une faute du soignant, un dommage subi et un lien de causalité entre la faute et le dommage. Par exemple, le manque d’information avant un geste et l’absence de consentement libre et éclairé sont considérés comme un non-respect de la loi et donc comme une faute.
La procédure se fait sous la forme d’une saisine des tribunaux civils et elle est payante. Il est recommandé d’avoir recours à un·e avocat·e pour augmenter les chances de succès.
Pour plus de détails sur les procédures pénales et civiles, vous pouvez lire l’article de Marie-Hélène Lahaye « Comment porter plainte pour violences obstétricales ».
4- Autres recours en établissements de santé
Si le médecin exerce dans un établissement de santé, vous pouvez également demander à rencontrer un·e responsable du service (chef·fe de service, cadre de santé), écrire à la direction de l’établissement et/ou saisir la commission des usager·es. Si la réponse de l’établissement est insuffisante, vous pouvez ensuite adresser une réclamation à l’ARS et/ou saisir le Défenseur des droits. Plus de détails sur le site du CIANE.
5 – Se faire aider d’une association
Des associations ont pour but de soutenir, accompagner et conseiller les personnes victimes de violences médicales.
Le Collectif Féministe Contre le Viol (CFCV) a mis en place une ligne d’écoute téléphonique anonyme et gratuite (Viols-Femmes-Informations) qui recueille régulièrement des témoignages de viols ou d’agressions sexuelles perpétrées par des professionnels de santé (qui représenteraient 23% des appels…). Le CFCV reçoit parfois plusieurs plaintes pour un même professionnel et elles ont souvent constaté des témoignages concordants. Les professionnels de santé agresseurs sexuels ont tendance à récidiver. L’association peut organiser un accompagnement pour les victimes isolées durant le procès de leur agresseur et se constituent parfois partie civile dans certaines affaires (ex : Affaire Tordjman).
Le CFCV lance régulièrement des appels à témoins ciblés sur son site internet afin de trouver d’autres victimes d’un même professionnel. Cependant, l’anonymat étant un engagement clef de la ligne d’écoute, l’identité et les coordonnées des appelantes ne sont pas relevées systématiquement, ce qui peut être un frein au regroupement des victimes. L’appelante peut néanmoins, si elle le souhaite, laisser ses coordonnées et demander à être mise en contact avec d’autres victimes du même praticien.
Par ailleurs, le CFCV organise également des formations à l’attention des professionnel·les de santé sur le thème des violences conjugales et sur la prise en charge des victimes de viols.
Par ailleurs, le forum Atoute permet de consulter des témoignages de violences médicales.
D’autres associations peuvent soutenir spécifiquement les personnes victimes de violences gynécologiques et obstétricales, y compris les violences sexuelles. Par exemple, vous pouvez consulter leurs ressources ou les contacter :
– Le CIANE est un collectif constitué d’associations françaises concernées par les questions relatives à la grossesse, à la naissance et aux premiers jours de la vie. Elles et ils ont édité un guide téléchargeable ici et il est possible de les contacter par mail.
– Le collectif Stop VOG (Stop aux Violences Obstétricales et Gynécologiques) partage des témoignages de violences gynéco-obstétricales sur les réseaux sociaux. Vous pouvez les suivre sur Facebook ou Twitter.
– La Fondation des femmes a également édité un guide juridique téléchargeable pour connaitre ses droits pendant le suivi de grossesse et l’accouchement.
- Conclusion
Comme nous l’avons vu, porter plainte que ce soit de manière pénale, civile ou ordinale est une démarche fastidieuse qui peut malheureusement ne pas aboutir à une reconnaissance du préjudice.
En ce qui concerne l’Ordre des Médecins : notre enquête, appuyée par le rapport de la Cour des comptes sur l’Ordre des Médecins, montre qu’il existe de sérieux dysfonctionnements.
Les démarches pour porter plainte ne sont pas clairement définies sur le site web du CNOM et nous avons vu que les élu·es eux/elles-mêmes étaient peu formé·es à ces questions. Il y a une réelle frilosité à dénoncer les agissements de confrères et à s’emparer correctement de la question. Les Conseils de l’Ordre ont parfois même couvert certaines affaires, ils ont également déjà porté plainte pour « atteinte à la confraternité » contre un praticien lanceur d’alerte.
Ces positionnements inacceptables témoignent de la responsabilité des Conseils de l’Ordre dans les affaires de violences sexuelles perpétrées par des professionnels et envoient ainsi un message dissuasif aux victimes.
En mars 2019, l’Ordre des Médecins a pourtant rajouté un commentaire à l’article 2 du code de déontologie condamnant les relations sexuelles entre médecins et patient·es au titre de l’abus de faiblesse. Ils y ont associé 10 conseils pour « se prémunir de toute inconduite, notamment à caractère sexuel » témoignant de leur complicité en se plaçant en conseiller des potentiels agresseurs. Le choix même du terme d’inconduite sexuelle est un euphémisme intolérable.
Par ailleurs, dans sa synthèse, la Cour des comptes avait émis plusieurs recommandations dont le fait d’encadrer juridiquement les doléances (qui sont pour l’instant une distinction sans fondement avec les plaintes), de rendre publiques les mesures nominatives de radiation ou de suspension d’exercer, ou encore d’élargir les commissions de conciliation à des non-médecins pour traiter les plaintes. Pour le moment, aucune de ces recommandations n’a été suivie et nous n’avons observé aucune remise en question de la part des Conseils de l’Ordre.
En tant que médecin, lorsqu’une patiente nous informe avoir subi des violences de la part d’un confrère, force a été de constater que nous ne pouvions pas le dénoncer sans être exposé·es au risque d’être en infraction selon les règles absconses et intangibles édictées par l’ODM. Il est à souligner l’hypocrisie de cette institution qui a en parallèle en 2020 soutenu la levée possible du secret professionnel pour des violences graves faites à des patient·es majeur·es, sans leur accord, dans le cas d’une mise en danger immédiate de leur vie, sous emprise d’un agresseur.
Nous pouvons cependant accompagner la personne et la mettre en relation avec des associations d’écoute et de soutien. Si elle souhaite porter plainte, nous pouvons également lui fournir les documents nécessaires.
L’Ordre encourage par son inaction et son imprécision la complicité avec les médecins agresseurs au détriment de la bienveillance et de la protection que nous devons à nos patient·es. Pour briser cette complicité, il faut demander une procédure claire de signalement et exiger des sanctions à la hauteur de la gravité des faits ; ou une dissolution de l’Ordre.