Quand les psy agressent

Tribune de professionnel·les de santé

Ce texte se focalise sur les relations entre un·e professionnel·le de santé mentale et un·e patient·e majeur·e

Plusieurs affaires récentes ont porté l’attention publique sur des psychanalystes / psychiatres / psychologues…, très majoritairement des hommes cis, ayant profité, dans le cadre de leurs pratiques professionnelles, de leur pouvoir et de la vulnérabilité de patient·es pour commettre des violences sexuelles.

Ces affaires, récurrentes, ne sont pas des cas isolés.

D’après plusieurs études anglo-saxones [1], 7 à 10% des thérapeutes hommes déclarent avoir eu des rapports sexuels avec un·e ou plusieurs patient·es, pourcentage auquel il faut donc ajouter les thérapeutes qui le taisent. Plus de 50 % de ces thérapeutes disent avoir eu des relations sexuelles avec plus d’un·e patient·e.

Ces affaires, ces données, sont claires : malgré les cursus et formations (d’ailleurs insuffisantes sur ces sujets) et les obligations déontologiques (voir ci-dessous), certain·es professionnel·les de santé mentale, dans notre société sexiste offrant aux hommes cisgenres pouvoir et impunité, abusent en plus pour agresser de l’ascendant et de l’influence que leur métier de (psycho)thérapeute leur procure.

La nature singulière de la relation (psycho)thérapeutique rend ces situations particulièrement toxiques, mettant en danger la confiance indispensable aux un·es pour se faire aider par un·e professionnel·le, aux autres pour répondre à ce besoin d’aide. L’asymétrie présente dans la relation (psycho)thérapeutique, comme dans toute relation de soin, doit être conscientisée. Elle peut être mise au service de l’objectif thérapeutique de la relation mais certainement pas au profit des désirs personnels du·de la professionnel·le.

Ces situations s’inscrivent aussi dans des champs particuliers, touchant à la santé mentale, celui de la psychologie, celui de la psychiatrie, qui portent de fortes responsabilités.

Il nous paraît indispensable de rappeler que :

      • Ce n’est que relativement récemment que les questions des conséquences traumatiques des violences sur les femmes et les enfants sont des sujets considérés comme essentiels dans le champ de la santé mentale.
      • Depuis l’Europe des années 1880 jusqu’à très récemment, les associations de professionnel·les, les directions d’établissements de soins en santé mentale, les établissements de formation, les instances professionnelles… ont plutôt étouffé, banalisé, invisibilisé ce type de violences. Encore aujourd’hui, les cursus de psychologie comportent très peu d’enseignements sur les abus de pouvoir et sur les dominations qui les favorisent. Dans de nombreux lieux de formations et de soins subsistent encore une culture et des pratiques professionnelles fondées sur une vision patriarcale, paternaliste, infantilisante et désautonomisante des soins psychiques. Cette culture favorise les violences.
      • Depuis l’Europe des années 1880 jusqu’à très récemment, de très nombreux textes, y compris parmi ceux écrits par des auteurs considérés comme les principaux théoriciens de la plupart des écoles de psychologie, ont systématiquement étouffé les paroles et vécus des personnes victimes, enfants et femmes en particulier, qui y étaient attaquées, critiquées et pathologisées. Des théories et textes où les victimes étaient silenciées, où les violences subies étaient mises sur le dos de « l’hystérie », de « transferts » ou de « provocations », où les conséquences traumatiques des violences subies étaient définies comme des symptômes de maladies. Actuellement, malgré la non validité scientifique de ces « concepts », les agresseurs continuent de se défendre en usant d’arguments fallacieux afin d’accuser les victimes. Et de nombreux psychiatres, psychologues et psychanalystes continuent à se positionner, dans leur cabinet, dans les universités et devant les tribunaux qui leur demandent leur « expertise », comme alliés des agresseurs plus que des victimes.

Le focus sur la « liberté de consentement » des victimes adultes ou sur leurs capacités à parler, à se défendre ou à se méfier, est un détournement de l’essentiel, généralement opéré par les agresseurs et leurs défenseurs. Un détournement du fait qu’un·e professionnel·le n’a pas à sexualiser la relation (psycho)thérapeutique et n’a pas à proposer, inciter à, demander, provoquer, imposer à des patient·es une relation sexuelle ou sexualisée, sous quelque forme que ce soit.

Ce que disent les codes​

Code de déontologie des psychologues :

« La·le psychologue a pour obligation de ne pas exploiter une relation professionnelle à des fins personnelles. La·le psychologue n’use pas de sa position à des fins personnelles, de prosélytisme ou d’aliénation économique, affective ou sexuelle des personnes qu’elle·il rencontre. »

Concernant les médecins-psychiatres :

La déontologie médicale (Code de déontologie) proscrit l’abus de faiblesse des patients par les médecins, et plus particulièrement les relations intimes et actes à caractère sexuel de médecin à patient, au regard de l’obligation éthique du respect du patient et de sa dignité imposé par l’article R.4127-2 du Code de la santé publique.

Cet abus de faiblesse est induit par la relation ascendante que la·le médecin a sur sa·son patient·e.

En mars 2019, suite à une pétition portée par des victimes, le Conseil national de l’Ordre des Médecins a procédé à une modification des commentaires de l’article 2 du Code de déontologie médicale, sur le respect de la vie et de la dignité de la personne, afin d’interdire les relations sexuelles avec les patients. Celui ci indique : « la·le médecin ne doit pas abuser de sa position, notamment du fait du caractère asymétrique de la relation médicale, de la vulnérabilité potentielle de la ou du patien·te, et doit s’abstenir de tout comportement ambigu, en particulier à connotation sexuelle (relation intime, parole, geste, attitude, familiarité inadaptée…) »


Ce n’est pas ici une question de liberté, de consentement. Le consentement implique une relation qui ne soit pas une relation (psycho)thérapeutique entre un·e professionnel·le et un·e patient·e. Il est impossible dans une telle relation de pouvoir. Si un·e professionnel·le s’autorise à avoir une relation sexuelle dans ce cadre ou à sexualiser la relation (par exemple à travers des commentaires sexistes ou sexualisant le physique ou l’apparence de la-e patient-e), il s’agit forcément d’une situation de violence sexiste et·ou sexuelle (VSS).

Actuellement, malgré l’ampleur et la récurrence de ces situations, les associations et syndicats de professionnel·les continuent de briller par leur absence. Les médias publient davantage de tribunes d’avocats d’agresseurs venant plaider pour leur client, que de communiqués de ces instances professionnelles qui condamneraient ces violences et proposeraient des actions d’envergure pour lutter contre celles-ci et les prévenir. Silence et confraternité toxiques.

Quant aux instances pédagogiques et professionnelles, elles éludent totalement le risque de détournement de certains concepts, de certaines méthodes, de certaines dimensions de la relation thérapeutique à des fins de violences sexuelles. 

Nous demandons aux syndicats, aux associations et aux ordres professionnel·les de condamner clairement les affaires lorsqu’elles éclatent. Mais celles-ci ne révèlent qu’un petit bout de la partie immergée de l’iceberg. Il faut donc que ces instances et leurs représentant·es fassent sortir la psychologie et la psychiatrie de la culture patriarcale, du sexisme et du paternalisme. Cela implique qu’iels luttent pour permettre l’expression et la révélation de ces violences et ce sans pathologiser les personnes agressées.

Afin de rendre effectives ces différentes actions, nous appelons à soutenir et soutenons les demandes des collectifs qui agissent pour mettre fin à la culture de l’impunité des VSS dans les milieux de la santé. 

Il est extrêmement difficile de faire de nouveau confiance à des psychothérapeutes, de tenter de s’appuyer sur une relation thérapeutique pour traiter des symptômes de stress post-traumatique, quand l’origine des violences subies est précisément un·e psychothérapeute.

Pour que le difficile ne soit pas impossible, il est impératif que les professionnel·les, soutenu·es par leurs instances, signifient clairement aux personnes victimes qu’iels s’opposent radicalement à la culture des agresseurs, qu’iels se situent résolument à leurs côtés et qu’iels sont formé·es pour prendre soin dans ces situations de violences.

 

Quelques ressources :

– 0 800 05 95 95 – Ligne d’écoute gratuite et anonyme pour les victimes de viols et d’agressions sexuelles. Viols Femmes Informations 0 800 05 95 95

– 3919 Violences femmes info : numéro d’écoute national, anonyme et gratuit, destiné aux femmes victimes de violences, à leur entourage et aux professionnel·les.

– CIDFF (Centres d’Information sur les Droits des Femmes et des familles – par département. Ils proposent aux femmes victimes de VSS une information juridique, un accompagnement psychologique et/ou social et une orientation vers des structures partenaires, de manière gratuite et confidentielle. 

Le Collectif de Lutte contre les Violences Sexistes et Sexuelles en Santé : ce collectif devrait voir prochainement le jour (novembre 2024).

 

SOURCES 

 L’indifférence au sujet des violences sexuelles commises par des psychothérapeutes, sur des personnes majeures ou mineures, que nous dénonçons, se traduit aussi dans la recherche. Aucune étude en France sur le sujet, et de très rares études et travaux aux États-Unis. Une synthèse dans :

[1] Pope, K. S., Keith-Spiegel, P., & Tabachnick, B. G. (2006). Sexual attraction to clients: The human therapist and the (sometimes) inhuman training system. Training and Education in Professional Psychology, S(2), 96–111. https://doi.org/10.1037/1931-3918.S.2.96

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